Je me suis abimé le genoux il y a un an et j’ai utilisé uber pendant un mois pour me déplacer. C’est un service dont j’avais beaucoup entendu parler et qui m’intriguait. Aujourd’hui j’approfondis le sujet.
Créé en 2009, Uber fait travailler plus d’un million de chauffeurs indépendants et a dépassé le milliard de courses réalisées.
Au delà du transport de personnes, la société a également lancé UberRUSH, un service de livraison à la demande et UberEATS, un service de livraison de repas.
Avec une valeur estimée à plus de 68 milliards, Uber pourrait être une des plus belles entrées en bourse
La startup a été fondée en 2009 par M. Kalanick et a connu un succès fulgurant. Suite à de nombreuses controverses, ce dernier a pourtant du se retirer en juin 2017 : révélations sur le climat sexiste aux Etats-Unis, plainte de Google après le rachat de la start-up Otto, existence d’un logiciel chargé d’espionner les forces de l’ordre et soupçon d’espionnage économique sur les chauffeurs de son concurrent Lyft.…
Les investisseurs, qui ont injecté plus d’une dizaine de milliards de dollars dans l’entreprise depuis sa création, voulaient éviter que la réputation sulfureuse de son PDG contrevienne à son l’entrée en Bourse d’Uber (programmée actuellement pour 2019). M. Kalanick continuera à siéger au conseil d’administration de la société.
La société est actuellement considéré comme la licorne des NATU dont la valeur est la plus élevée, de l’ordre de 68 milliards de dollars (contre 37 milliards pour Airbnb). (Vous pouvez approfondir ce qu’est une licorne avec mon article sur les starts up européennes).
Toyota a investi 500 millions de dollars dans Uber et a pris environ 7% du capital.
Pourtant, Uber perd encore aujourd’hui (beaucoup) d’argent
Uber n’est pas aujourd’hui une entreprise rentable. En 2017, la société californienne a annoncé avoir subi une perte financière de 4 milliards de dollars, malgré un chiffre d’affaires de 7,5 milliards de dollars. UberEATS aurait généré un chiffre d’affaires de 6 milliards.
Le principal concurrent d’Uber, Lyft, ne manque pas de profiter des déboires d’Uber pour développer une image d’entreprise modèle. La valeur de Lyft est estimée à $11 milliard.
En Chine, l’entreprise concurrente s’appelle Didi Chuxing et sa valeur est estimée à près de $50 milliards. En août 2016, au vu de son faible succès en Chine, Uber y a d’ailleurs revendu ses opérations à Didi Chuxing en échange d’une part minoritaire dans l’entreprise.
Mais qui sont les concurrents d’Uber?
Il y a plus de 20 000 chauffeurs de VTC en France. Hormis Uber qui domine le marché, quatre autres acteurs des VTC sont présents en France: Chauffeur privé, AlloCab, leCab, Taxify qui a débarqué en octobre 2017, et la startup française Heetch. Leurs prix sont très proches en moyenne.
Ces plateformes sont elles moins chères que les taxis? En réalité, les études ont montré que prendre un taxi dans la rue est toujours compétitif, à plus forte raison aux heures où les algorithmes des VTC augmentent leurs prix, car les prix des taxis sont régulés. De plus, à Paris, seuls les taxis ont le droit d’utiliser les voies de bus pour aller plus vite.
Mais les plateformes ont surtout développé de nouveaux usages. 37 % des courses Uber ont lieu la nuit, et même 47 % après minuit pour Uberpop. Or, le marché de la nuit ne représente que 20 % des déplacements réalisés en taxi.
UberPool, où on partage le service à plusieurs, est un service innovant et qui répond à un vrai besoin. Uber vient de lancer un nouveau service Express Pool où on rejoint le chauffeur à un endroit déterminé par l’appli afin d’éviter les détours lors d’une course partagée.
La grosse épine dans le pied d’Uber est celle du statut de ses chauffeurs
Uber prétend être une entreprise de technologie, elle ne se considère pas comme une société de transport et encore moins comme un employeur. Par conséquent, Uber soutient que les chauffeurs sont des contractants indépendants et n’effectue aucun contrôle sur les horaires de travail.
En avril 2016, Uber a versé 100 millions de dollars pour mettre un terme à une action collective en Californie de près de 400 000 chauffeurs et ex-chauffeurs qui voulaient être considéré comme des salariés.
Le 28 octobre 2016, un tribunal du travail de Londres a déclaré que les chauffeurs d’Uber ne sont pas des travailleurs autonomes, mais bel et bien des employés.
En France, l’Urssaf estime aussi que les chauffeurs d’Uber n’ont pas un statut de travailleur indépendant et a décidé en 2016 de poursuivre Uber pour le paiement de millions d’euros de cotisations. Etablir un lien de salariat est loin d’être simple. L’Urssaf devra prouver qu’il existe un lien de subordination entre Uber et ses chauffeurs.
Uber constitue t-il un espoir pour les banlieues?
Le profil-type d’un chauffeur uber est un homme jeune, souvent titulaire d’un bac, touché par le chômage (25% sont d’anciens chômeurs), habitant une commune de banlieue francilienne.
Les communes de banlieue francilienne sont un vivier important de main-d’œuvre. La population y est plus jeune, le chômage plus important.
Le revenu mensuel d’un chauffeur approcherait les 4 800 euros. Uber prélève 25 % du prix de la course (voire 30 % pour le taxi partagé Uberpool). Après avoir déduit les commissions et les frais inhérents aux véhicules (entre 40 et 50% du chiffre d’affaires), les chauffeurs gagneraient environ 2 400 euros pour 60 heures par semaine, soit un taux horaire en réalité à peine supérieur au Smic.
L’algorithme d’Uber est controversé
Cet article d’internet actu montre bien que le logiciel d’Uber n’est pas passif. Il façonne complètement le marché. Uber dispose de toute l’information, de manière asymétrique par rapport aux chauffeurs.
L’entreprise a intérêt à encourager les vocations de chauffeurs pour disposer d’une flotte toujours plus importante, offrir un service toujours plus rapide.
L’entreprise ne demande jamais aux chauffeurs de prendre le volant, mais le logiciel le fait pour elle. La plateforme est plus loyale aux clients qu’aux chauffeurs… et elle est surtout et avant tout loyale à elle-même et à ses propres intérêts.
Il est difficile pour les chauffeurs de prendre des décisions qui sont dans leur intérêt. Ils tentent de résister de multiples manières aux injonctions algorithmiques dont ils sont les destinataires, notamment en essayant de tromper le système sur leur position ou leur disponibilité (pour approfondir, le sujet des algorithmes, je vous conseille la lecture de cet article comprendre les algorithmes en 10 questions ).
De même que la convivialité sous contrainte qu’il génère
Les primes et le contrat des chauffeurs avec Uber sont conditionnés par leurs notes. Les chauffeurs sont remerciés quand leur note tombe en dessous de 4,6/5. Et si les chauffeurs peuvent refuser des clients mal notés, ils peuvent être remerciés s’ils le font trop souvent.
L’évaluation permanente aboutit à une convivialité sous contrainte forçant les employés à sourire, à se comporter comme des domestiques. Dans les organisations traditionnelles, les managers ont un certain degré d’appréciation des réclamations clients et ils ont des obligations légales envers leurs employés.
C’est moins vrai chez Uber. Pourtant, les notes ne reflètent pas toujours la qualité du service offert par le chauffeur. L’utilisateur peut avoir tendance à évaluer la totalité l’expérience dans son ensemble. Si la géolocalisation fonctionne mal et qu’il attend 5 minutes le chauffeur qui stationnait un peu plus loin, le client, mécontent, aura tendance à attribuer une mauvaise note… dont pâtira le chauffeur qui n’est pourtant pas responsable.
Une initiative pour inciter au débranchement des chauffeurs en France
Sous la pression du gouvernement, Uber expérimente début 2018 un blocage de son application si la limite des dix heures de conduite consécutive est franchie. Le déblocage ne sera possible qu’après six heures de repos consécutives. Le nombre de chauffeurs potentiellement concernés par la mesure serait « très faible » selon la plate-forme.
Cette prise d’initiative n’est pas sans risque pour Uber, qui pourrait voir les chauffeurs trop souvent bloqués basculer vers les applications de ses concurrents.
Voulons nous du modèle Uber pour notre futur?
Le développement des plateformes comme Uber peut aller à l’encontre de l’objectif des grandes métropoles qui souhaitent rendre contraignante la circulation automobile, pour réduire la pollution atmosphérique et pour une meilleure qualité de vie .
Quand on regarde plus finement, on voit qu’en Ile-de-France, Uber ne dessert pas seulement les Parisiens. 44% des « uberistes » vont ou viennent de banlieue. De ce point de vue, Uber offre un nouveau service, une alternative dans les zones mal desservies par les transports en commun. De ce point de vue, je trouve qu’il apporte potentiellement de la valeur à la société.
En revanche, j’ai la même inquiétude que j’évoquais dans mon article sur Booking: le droit de péage! Uber arrive à capter 25 % de la valeur des courses de taxi en France, et sans payer d’impôt à l’Etat Français. On retrouve le même problème d’imposition que pour les autres GAFA, avec un montage d’optimisation fiscale passant par les Pays-Bas, les Bermudes et le Delaware.
Faut-il accepter Uber comme alternative au réseau de bus?
En Amérique du Nord, Uber et son concurrent Lyft participent à des dizaines d’expérimentations ou à des services commerciaux dans lesquels leurs VTC subventionnés pallient une offre de transport en commun défaillante, faute de demande ou d’argent public.
A Nice, une expérimentation a été lancée en partenariat avec l’opérateur du transport en commun local, Régie Ligne d’Azur (RLA) sur la ligne 1 du tram. Elle durera un an.
Entre 20 heures et 2 heures du matin, les abonnés aux transports en commun pourront réaliser un voyage correspondant au trajet d’une des lignes de bus concernée vers une station de tram .
Uber et RLA financent à parts égales la course pour la faire descendre à six euros, tout en assurant au chauffeur une rémunération égale à une course traditionnelle en Uber X. Les trajets les plus longs couverts par ce mécanisme sont d’une dizaine de kilomètres. Selon leur durée, ils sont habituellement facturés entre 9 et 16 euros, d’après Uber.
J’ai envie de dire aux collectivités qui envisagent de réduire leurs services de transports en commun au bénéfice d’uber d’être hyper prudentes et d’être préparées au fait qu’uber augmentera vraisemblablement ses tarifs de 30 % dans les années à venir.
Uber souhaite se positionner plus largement comme l’acteur incontournable de la mobilité en ville. Il a racheté la startup Jump Bikes et proposera des stations de vélos électriques à Washington et San Francisco.
Quel sera l’impact du véhicule autonome sur nos sociétés?
J’en ai déjà parlé dans mon article sur l’intelligence artificielle : l’arrivée des véhicules autonomes annonce la fin programmée des chauffeurs. Le CEO d’Uber annonçait en 2014 à la conférence Code la chose suivante : “Lorsqu’il n’y aura plus personne pour conduire nos véhicules, le coût d’une course en Uber deviendra plus faible que celui de détenir son propre véhicule. Donc la magie est là, vous diminuez le coût au dessous de celui de détenir sa propre voiture, et ensuite le principe même d’achat de sa voiture s’envole.”
Uber s’est fixé des objectifs extrêmement ambitieux pour lancer le plus vite possible un véhicule autonome sur le marché et dépasser enfin le stade du prototypage. Les essais d’Uber ont démarré dans les villes suivantes : Tempe, Pittsburgh (Ohio), San Francisco et Toronto.
Uber a également racheté la startup Otto spécialisée dans les camions autonomes, pour un montant estimé à 680 millions de dollars. C’est suite à ce rachat que Waymo (le projet de véhicules autonomes de Google) a porté plainte le 23 février 2017 contre Uber pour « vol de secrets industriels et violation de brevets ». Un accord a été trouvé début 2018, avec un paiement de 0,5 % du capital en actions, faisant ainsi de Google un investisseur dans Uber.
General Motors, de son côté, investit dans Lyft, l’adversaire direct d’Uber, et a racheté plus d’un milliard de dollars la start-up Cruise pour atteindre le même objectif.
Le développement du véhicule autonome chez Uber est actuellement en stand by suite à un accident mortel en mars 2018 . La victime traversait en dehors du passage protégé. La police a plutôt dédouané le robot. La victime a surgi dans un angle mort, et il aurait été extrêmement difficile pour un chauffeur lambda de l’éviter.
Personnellement, je pense qu’offrir un emploi à des jeunes de banlieues est une bonne chose. Le développement du véhicule autonome sur certaines niches (autoroutes, la nuit…) est super intéressant. En revanche, un développement massif du véhicule autonome aura un impact massif en terme d’emploi peu qualifié et c’est quelque chose qui m’inquiète.
Pour en savoir plus sur les autres NATU, allez consulter mon article sur Netflix.